Le droit de manifester
Le droit de manifester est un droit fondamental reconnu et protégé par des textes nationaux et internationaux.
À l’heure des revendications sociales portées par les « Gilets jaunes » depuis plusieurs semaines, le dossier de ce mois précise ce que recouvre le droit de manifester en France en mettant en avant ce qu’il permet de faire et ce qu’il interdit.
Le droit de manifester : un droit fondamental reconnu par de nombreux textes
Le droit de manifester n’apparaît pas clairement dans la Constitution de 1958 mais plutôt dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (qui a valeur constitutionnelle).
L’article 10 de la Déclaration précise que :
« Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »
Ainsi, chaque personne est libre de manifester ses opinions dès lors que la paix et la sécurité restent garanties.
Le Conseil constitutionnel, chargé de veiller à ce que les lois votées par le Parlement respectent les dispositions contenues dans la Constitution, a par ailleurs établi, par une décision en date du 18 janvier 1995, que le droit de manifester se rattache au « droit d’expression collective des idées et des opinions ».
Ce droit de manifester est également prévu et protégé par la Convention Européenne des Droits de l’Homme, convention de valeur internationale que la France a ratifié.
L’article 11 indique que « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ».
Qu’est-ce que le droit de manifester ?
La manifestation est une réunion organisée dans un lieu public ou sur la voie publique afin d’exprimer une conviction collective.
Par exemple, les « Gilets jaunes » ont contesté dans la rue le fait que le travail ne permet pas toujours de vivre dans des conditions décentes.
En réaction à cette manifestation d’ampleur, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures.
Une manifestation peut revêtir différentes formes : elle peut être fixe, on parle alors de « sit in » ou prendre la forme d’un cortège.
Le droit de manifester est utilisé comme un moyen d’attirer l’attention de la classe politique (gouvernement, Parlement…).
Une manifestation peut être organisée par des syndicats, groupement professionnels, des associations, des ligues …pour défendre leur cause (reconnaissance et défense de leurs droits ou des droits des autres) ou par un mouvement populaire en réaction à un évènement.
L’article 431-1 du Code pénal punit le fait d’entraver (=le fait d’empêcher) l’exercice du droit de manifester par une peine pouvant aller jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.
La peine peut même s’élever jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende lorsque l’entrave est accompagnée de circonstances aggravantes telles que des violences, des destructions, des dégradations…
Attention à ne pas confondre manifestation et attroupement !
Si, dans le premier cas, le rassemblement de personnes est présumé fait dans le calme et la tranquillité, l’attroupement est en revanche perçu comme un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public et sans volonté de manifester ses opinions.
Ainsi, l’attroupement implique nécessairement une dispersion des participants après sommations, par des jets de grenades lacrymogènes par les forces de police par exemple.
Comment manifester ?
Jusqu’en 1935, il n’y avait pas à proprement parler de droit de manifester mais plutôt une tolérance de manifestation, comme le disait le célèbre homme politique Georges Clémenceau (ancien Président du Conseil des ministres).
C’est dans ce contexte de « relatif vide juridique » que les manifestations se sont développées au cours du 19ème siècle. La manifestation est alors perçue comme un acte toléré par l’administration. Les pouvoirs publics regardent ces manifestations avec méfiance, craignant des dérives insurrectionnelles.
Et pour cause, les heurts entre manifestants et forces de l’ordre sont quasi systématiques lors des rassemblements.
Il faut attendre un décret-loi du 23 octobre 1935 pour obtenir une véritable réglementation de la manifestation. Depuis, de nombreuses manifestations ont été organisées, partout en France, pour défendre des causes très diverses, par exemple :
- Opposition au projet de loi Taubira permettant le mariage pour tous et l’adoption aux couples de même sexe ( « La Manif pour tous » ) ;
- Opposition au projet de loi Woerth sur les retraites ;
- Marche républicaine et manifestation en l’hommage des victimes des attentats de Charly Hebdo et de l’hyper cacher
- Opposition au projet de loi El Khomri réformant le Code du travail ( par les syndicats lycéens, étudiants… ) ;
- Victoire de la Coupe du monde 2018 ;
Pour pouvoir manifester, il faut, depuis ce décret, effectuer ce que l’on appelle une « déclaration préalable ».
Si ce décret-loi a été supprimé par l’ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012, ses dispositions ont toutefois été reprises dans le Code de la sécurité intérieure (article 211-1 du Code de la sécurité intérieure).
La déclaration préalable doit être adressée à la Préfecture ou à la Mairie, sous certaines conditions. Lorsque la déclaration est faite au Maire, ce dernier a alors 24 heures pour en informer à son tour le Préfet.
Toutes les communes traversées par le cortège de manifestants doivent être informées par cette déclaration préalable. Cette dernière doit être déposée entre 15 jours et 3 jours avant le début de la manifestation. Elle doit indiquer :
- les noms et prénoms des organisateurs ;
- la date de la manifestation ;
- l’heure de la manifestation ;
- le lieu de la manifestation ;
- l’itinéraire de la manifestation ;
- l’objectif de la manifestation.
La déclaration préalable est signée par au moins trois organisateurs de la manifestation, domiciliés dans le département.
Lors du dépôt de la déclaration préalable, un récépissé (= visa) est délivré. Cependant, ce récépissé ne vaut pas autorisation ! Il permet seulement de justifier que la déclaration préalable a bien été faite.
Que se passe-t-il en cas de manifestation non déclarée ?
Si les organisateurs de la manifestation ne respectent pas les formalités de la déclaration préalable, ils risquent une peine pouvant aller jusqu’à 7 mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende, d’après l’article 431-9 du Code pénal.
Cet article 431-9 du Code pénal réprime également des mêmes peines le fait :
- « D’avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi », ou encore ;
- « D’avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation projetée ».
Ainsi, une simple omission ou inexactitude volontaires dans la déclaration préalable peut aboutir à des sanctions pénales.
Toute personne participant à une manifestation irrégulière peut faire l’objet d’une contravention de première classe, c’est-à-dire d’une contravention d’un montant de 11 euros, d’après l’article R 610-5 du Code pénal. En cas de retard dans le paiement de la contravention, ce montant peut être majoré (c’est-à-dire augmenté) et atteindre 33 euros.
En principe, il faut toutefois rappeler qu’une manifestation non déclarée, qui ne trouble pas l’ordre public, ne peut être interdite. Il n’y a qu’en cas de trouble à l’ordre public (en cas d’atteinte à la tranquillité et à la sécurité) qu’un ordre de dispersion peut être donné car, dans ce cas, le rassemblement peut être perçu comme un attroupement.
Qui examine la déclaration préalable ?
La Direction de l’Ordre public et de la Circulation est chargée d’analyser la déclaration préalable et d’évaluer, au cas par cas, les dangers qui pourrait y avoir par rapport aux manifestations précédentes ayant porté les mêmes revendications, au contexte général, à l’itinéraire, etc…
Cette vérification est faite dans le but de concilier deux droits fondamentaux : le droit à la sécurité des personnes et des biens, d’une part, et le droit de manifester, d’autre part.
Si cette autorité, investie des pouvoirs de police, juge que la manifestation peut porter un trouble manifestement grave à l’ordre public et qu’il n’y a pas de moyen efficace pour maintenir l’ordre public (tels que des dispositifs policiers), elle interdit alors la manifestation par un arrêté motivé (= une décision expliquant précisément les raisons de l’interdiction).
Si le Maire est à l’origine de l’interdiction, il doit la transmettre au Préfet, qui pourra alors saisir le Tribunal Administratif afin de faire annuler l’arrêté.
A l’inverse, si le maire délivre une autorisation de manifestation, le Préfet peut se substituer au Maire (=se mettre en quelque sorte à sa place) afin d’interdire la manifestation.
L’arrêté d’interdiction doit être notifié aux organisateurs qui disposent d’un « recours en légalité » devant le Tribunal Administratif.
Si le Tribunal Administratif est saisi, il doit vérifier la proportionnalité entre l’interdiction et les troubles à l’ordre public qui sont redoutés pour prendre sa décision. S’il estime que les troubles encourus ne sont pas si importants, il peut alors revenir sur l’interdiction de manifester.
Que prévoit la loi dite « anticasseurs » ?
La loi dite « anticasseurs », qui n’a pas encore été définitivement votée par le Parlement, est une proposition faite en réaction aux débordements qu’il y a pu avoir pendant les différentes manifestations des « Gilets jaunes ».
Selon le gouvernement, cette loi a pour objectif de lutter contre « les armes par destination » (=les objets dont la fonction première ne sont pas d’être des armes mais qui sont utilisés comme telles lors des manifestations en l’occurrence) en permettant une inspection visuelle des bagages et des fouilles des manifestants, sur ordre du Procureur.
Ainsi, les marteaux et autres boules de pétanque, par exemple, pouvant être utilisés comme des armes par les manifestants, pourront probablement être confisqués par les services de police si la loi venait à être votée.
Le 5 février 2019, les députés (élus de l’Assemblée Nationale), ont voté une version presque définitive de la future loi, qui doit néanmoins être réexaminée par le Sénat le 12 mars pour une deuxième lecture.
Dans cette version, il est notamment prévu une possibilité de prononcer une interdiction administrative de manifester à l’encontre des personnes qui constituent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, qui peut être déduite des comportements que ces personnes ont eu lors de manifestations précédentes. Ces mesures d’interdiction devront être prises sous le contrôle d’un juge.
Pour lutter contre les armes et les armes par destination, les députés ont choisi d’instaurer un périmètre de filtrage à l’entrée des manifestations où les manifestants ainsi que les véhicules pourront être fouillés.