Maltraitance animale et souffrance  : Quelles normes pour les éleveurs ?

Faits

M. Y est Président de la société Poulailler à Moranville qui exploite un couvoir d’œufs et poussins de chair sur la commune de Clémence. Cette société produit environ 1 500 000 œufs par an. Elle a ensuite développé sa production de poussins, prenant en charge l’incubation et l’éclosion des œufs, le sexage avant leur expédition pour une production annuelle de 12 millions d’œufs environ. A l’effet de traiter les poussins morts, faibles, ou invendus, l’entreprise utilisait depuis 2001 un euthanasieur pour aplatir et tuer les poussins vivant avant de les envoyer à l’équarrissage ou de les broyer pour les mélanger au compost de poules.

Une vidéo filmée en caméra cachée par l’association Z de défense des animaux a été mise en ligne. Cette vidéo montrait des poussins mâles vivants directement versés dans un broyeur, des poussins blessés laissés sur le sol et ramassés pour être évacués avec les déchets, un salarié faisant tournoyer un poussin, des cartons versés directement sur le fumier, des poussins morts sans avoir été broyés et versés dans le fumier.

Procédure 

Le 16 novembre 2014, une plainte a été transmise par l’association Z au procureur de la République qui a ouvert une enquête préliminaire.

La plainte était accompagnée de la vidéo diffusée par l’association sur son site, réalisée par un intérimaire employé de la société.

Cette vidéo avait eu un retentissement important car elle mettait particulièrement la souffrance des poussins nouveaux nés conduits à une mort brutale et barbare. Les enquêteurs ont perquisitionné sur le site du couvoir. Plusieurs salariés du couvoir ont été entendus par les gendarmes.

La société exploitant le couvoir et son représentant légal avaient été principalement prévenus de trois chefs d’accusation : mauvais traitements d’animaux et souffrance inutile, destruction volontaire et sans nécessité d’animaux, et enfin, au travers de diverses infractions, une gestion irrégulière des déchets.

L’association Z se constitue partie civile et demande des dommages intérêts.

Problème de droit

Les méthodes employées par ce couvoir pour la mise à mort de poussins peuvent-elles être retenues pour l’élevage sans violer les normes en vigueur ? Peut-on tout sacrifier sur l’autel de la rentabilité et de la productivité ?

Parties

  • Monsieur le procureur de la République, demandeur et poursuivant
  • Z association, partie civile
  • Société Poulailler, prévenue
  • Monsieur Y, prévenu et représentant légal de X

Les arguments de l’association Z

Elle fonde sa constitution de partie civile sur l’article 2-3 du code de procédure pénale étant une association de protection des animaux et à défaut soutient souffrir d’un préjudice personnel et direct.

Elle inscrit plus largement son intervention dans un combat politique qu’elle mène contre la consommation de viande qui induirait le système productiviste de l’agriculture intensive assis sur le détournement des animaux dédiés uniquement à une activité productive.

Elle soutient que les poussins ont connu une souffrance contraire à leur bien-être, tout animal étant un être sensible dont il faut tenir compte.

L’association appelle à la suppression de l’agriculture intensive, soulignant les excès commis, l’animal étant produit uniquement à des fins d’élevage le plus rapide avant d’être tué.

Les arguments de M. Z

M. Y soutient avoir donné toute instruction à ses employés pour ne pas broyer les poussins. Il nie avoir commis les faits de mise à mort par broyage.

L’agriculture intensive reste légale et présente une légitimité par la satisfaction de très nombreux besoins alimentaires à des prix rendant accessible le produit au plus grand nombre notamment par l’exportation des produits vers des pays connaissant d’importants besoins alimentaires sans de grande capacité de pouvoir d’achat.

Elle constitue une source d’emplois particulièrement sur la commune, situé en centre Bretagne où l’activité économique est rare et essentiellement tournée vers de tels élevages qui ont permis à des bretons de rester dans leur village.

Les conditions de l’exploitation de M. Y. montrent des difficultés financières importantes et la nécessité pour lui de rechercher des économies de coût qui l’ont conduit à recourir à des procédés illicites afin de sauvegarder la viabilité de l’entreprise.

La faiblesse des marges, le fait que l’agriculture intensive vise à servir des produits à des prix très bas, opèrent une pression sur les producteurs ce qui est le cas de M. Y. alors que le respect de la législation nécessite des investissements et des suivis administratifs ou techniques coûteux et réalisés par des cabinets privés, les services de l’état étant désengagés de ce secteur, se contenant de l’instruction et l’analyse de dossiers complexes établis et mis en forme par des coûteux cabinets privés d’ingénierie.

Les arguments du Procureur de la République

Le Ministère public requiert de déclarer coupable la société et son dirigeant pour mauvais traitements envers un animal place sous sa garde par personne morale exploitant un établissement détenant des animaux domestiques, sauvages apprivoises ou tenus en captivité faits commis courant janvier 2014 et jusqu’au 12 août 2015. Il demande de prononcer l’obligation d’afficher la décision.

Solution des juges 

Opérant un parallèle avec la législation relative aux abattoirs, les juges estiment qu’il se déduit de cette réglementation « une obligation de rechercher et mettre en œuvre une mesure supprimant tout risque de souffrance préalable à la mise à mort des poussins qui doit être immédiate ».

S’il est regrettable que la tuerie des poussins par broyage n’ait pas été visée dans la prévention sous l’article L 215 du code de l’environnement, il reste que la tuerie par étouffement pour revendre des cadavres, est un fait grave et témoigne d’une recherche d’une rentabilité et valorisation de cadavres de poussins maltraités puis tués. Si certains cadavres de poussins étaient donnés, il reste que d’autres étaient vendus ainsi qu’en témoignent la facturation saisie.

Or l’animal est un être sensible dont la nature et les caractéristiques obligent à tenir compte même au sein même de la filière de l’agriculture intensive.

Destiné à devenir un poulet de chair, cette destination ne peut lui enlever cette capacité à ressentir dès sa naissance par éclosion, capacité qu’ont de nombreux animaux, des agressions, des situations stressantes, de la souffrance, contraires à son bien-être et paradoxalement tout aussi stressantes pour son développement futur même s’il est destiné à mourir très rapidement par euthanasie ».

  • Déclare la société Poulailler coupable de mauvais traitements envers un animal place sous sa garde par personne morale.
  • Condamne la société Poulailler à 15 000 € d’amende.
  • Déclare M. Y. coupable de mauvais traitements envers un animal place sous sa garde par personne morale
  • Condamne de M. Y. à 3 000 €.
  • Si le ministère public requiert le prononcé d’une peine d’affichage, il ressort que l’affaire a connu retentissement par la mise en ligne du film tourné dans le couvoir, des relations dans les médias écrites ou parlées. Nul doute que la décision sera elle-aussi médiatisée sans qu’il n’apparaisse donc nécessaire de s’assurer d’une telle publicité. L’affichage ne sera donc pas ordonné.