Crime de guerre culturel : étude de cas

Crime de guerre culturel : La guerre du Mali, conflit armé qui a lieu au Mali depuis 2012

Crime de guerre culturel : les Faits
En janvier 2012, il y avait un conflit armé au Mali. En avril 2012, après le retrait des forces maliennes, les groupes Ansar Dine et Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ont pris le contrôle de Tombouctou (Commune du Mali). À partir de là, et jusqu’à janvier 2013, ces groupes ont imposé leurs conceptions religieuses et politiques sur le territoire de Tombouctou et à la population. Ils ont mis en place une administration locale, comprenant un tribunal islamique, une police islamique, une commission des médias et une brigade des mœurs appelée Hesbah.
Considéré comme un spécialiste des questions religieuses, Ahmad Al Mahdi était consulté par le tribunal islamique. Il était très actif dans certains domaines de l’administration créés par ces groupes islamiques. Il a dirigé la Hesbah (brigade des mœurs) depuis sa création en avril 2012 jusqu’à septembre 2012.
En juin 2012, le chef de l’un des groupes islamiques a décidé de détruire les mausolées. L’avis d’Ahmad Al Mahdi était demandé. Il avait estimé que les juristes islamiques étaient unanimes sur l’interdiction de toute construction sur une tombe mais qu’il valait mieux ne pas détruire les mausolées, pour préserver les relations entre la population et les groupes d’occupation. Malgré cela, le chef du groupe islamique a tout de même donné le feu vert pour détruire les mausolées.
En dépit de ses réserves initiales, Ahmad Al Mahdi a accepté sans hésitation de mener l’attaque lorsqu’il en a reçu l’instruction. Il a rédigé un sermon consacré à la destruction des mausolées, qui a été lu lors de la prière du vendredi, au lancement de l’attaque. Il a personnellement décidé de l’ordre dans lequel les bâtiments devaient être attaqués.
L’attaque elle même a été menée entre le 30 juin 2012 environ et le 11 juillet 2012. Dix des monuments les plus importants et les plus connus de Tombouctou ont été attaqués et détruits par Ahmad Al Mahdi et d’autres personnes. Tous ces biens étaient consacrés à la religion, étaient des monuments historiques et ne constituaient pas des objectifs militaires. Ces destructions peuvent-elles constituer un crime de guerre culturel ?

Crime de guerre culturel : Procédure
Le 18 septembre 2015, le juge unique de la Chambre préliminaire I de la CPI a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi (« Ahmad Al Mahdi »). Celui-ci a été transféré à La Haye le 26 septembre 2015 et a effectué sa première comparution le 30 septembre 2015.
Le 17 décembre 2015, le Bureau du Procureur (« l’Accusation ») a déposé un document exposant le chef d’accusation retenu, à savoir la charge, unique, selon laquelle Ahmad Al Mahdi serait responsable du crime de guerre consistant à attaquer des biens protégés.
Le 24 mars 2016, la Chambre préliminaire I de la CPI a confirmé la charge de crime de guerre portée à l’encontre d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi à raison d’attaques dirigées contre des monuments à caractère religieux et historique sis à Tombouctou, au Mali, et a renvoyé l’intéressé en jugement devant une chambre de première instance.

Problème de droit : la destruction des mausolées est-elle un crime de guerre ?

La destruction des mausolées faisant partie du patrimoine commun d’une communauté, pour des motifs religieux, peut-elle constituer un crime de guerre culturel ?

Parties devant la CPI
Le Procureur contre Ahmad Al Faqi Al Mahdi

Les arguments de l’Accusation (Procureur)
– Prises dans leur ensemble, les agissements d’Ahmad Al Faqi constituent une contribution essentielle au crime.
– Ahmad Al Mahdi savait qu’il exerçait un contrôle sur l’attaque et qu’il était pleinement impliqué dans l’exécution de celle ci.
– Il était le chef de la Hesbah, une des quatre institutions fondamentales mises en place au début de l’occupation de Tombouctou.
– Il avait la responsabilité générale de la phase d’exécution de l’attaque, supervisant l’exécution des opérations, utilisant les hommes de la Hesbah et fixant l’ordre dans lequel les bâtiments seraient détruits.
– Il justifiant l’attaque auprès du reste du monde au moyen d’interviews avec la presse. Durant l’une de ses interviews données au cours de l’attaque, Ahmad Al Mahdi a déclaré : « Je ne sais pas ce qu’il en est de ces saints. Nous savons juste que des idiots […] viennent prendre du sable à ces endroits à des fins de bénédiction […]. Voilà pourquoi nous considérons cette campagne comme un projet mené en collaboration avec les imams […]. Nous ne nous sommes intéressés qu’aux édifices construits au-dessus des tombes des cimetières et des tombes situées dans les annexes des mosquées à l’extérieur. […] Quant à la démolition de ces édifices, […] nous estimons que nous avons déjà abordé cette question de manière progressive, puisque nous avons passé quatre mois à expliquer aux gens ce qui est bien et ce qui est mal, et maintenant il est temps d’exécuter la décision ».
– Il était également présent sur tous les sites attaqués, donnant des instructions et apportant un soutien moral.
– Il a personnellement participé à l’attaque qui a conduit à la destruction d’au moins cinq des monuments.
– Les mausolées de saints et les mosquées de Tombouctou font partie intégrante de la vie religieuse de la population de cette ville. Ils constituent un patrimoine commun de la communauté.
– Ces mausolées sont fréquemment visités par les habitants, qui y prient et, pour certains, s’y rendent en pèlerinage.

Les arguments de l’accusé (Ahmad Al Faqi)
Ahmad Al Mahdi a plaidé coupable.

Solution des juges
– Les juges ont tenu compte de la gravité du crime, du comportement coupable d’Ahmad Al Mahdi et de la situation personnelle de celui–ci.
– Selon eux, bien que très graves, les crimes contre les biens le sont généralement moins que les crimes contre les personnes.
– Toutefois, les bâtiments visés revêtaient non seulement un caractère religieux mais également une valeur symbolique et affective pour les habitants de Tombouctou.
– Les mausolées des saints et les mosquées de cette ville faisaient partie intégrante de la vie religieuse de la population et constituaient un patrimoine commun de la communauté. Ils attestaient de la dévotion de cette population à l’Islam et jouaient un rôle psychologique tel qu’ils étaient perçus comme une protection pour la population de Tombouctou.
– De plus, tous les bâtiments, sauf un, étaient inscrits par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité, et à ce titre, les attaques dont ils ont fait l’objet semblent particulièrement graves car leur destruction affecte non seulement les victimes directes des crimes mais aussi toute la population du Mali et la communauté internationale.

Verdict : La Chambre de première instance VIII de la CPI déclare Ahmad Al Mahdi coupable du crime de guerre consistant à avoir dirigé intentionnellement des attaques contre des bâtiments à caractère religieux et historique situés à Tombouctou, au Mali, en juin et juillet 2012. Il est condamné à neuf ans d’emprisonnement.

NB : Quelques textes sur la Protection internationale des biens culturels
– les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 interdisent de détruire les biens culturels (articles 27 et 56) et la Commission des responsabilités de 1919 a qualifié de crime de guerre « la destruction arbitraire de bâtiments et de monuments consacrés à la religion, à l’action caritative ou à l’enseignement, ou ayant un caractère historique».
– L’article 27 dispose : « Dans les sièges et bombardements, toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour épargner, autant que possible, les édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance, les monuments historiques, les hôpitaux et les lieux de rassemblement de malades et de blessés, à condition qu’ils ne soient pas employés en même temps à un but militaire ».

– Les Conventions de Genève ont également reconnu la nécessité d’instaurer une protection spéciale pour les biens — comme les hôpitaux — qui sont déjà protégés en tant que biens civils
(Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades des forces armées en campagne du 12 août 1949, articles 19 à 23)
(Convention (II) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949, articles 22, 23, 34 et 35)
Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, articles 14, 18 et 19.)